Hélène Picard

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Hélène Picard 1873-1945

De l’esthétique de la solitude….

 » Vivre d’un souvenir, vivre d’une ombre auguste

Et parce que l’on aime à jamais et si fort

Sentir que l’on devient pur, lumineux et juste

Et qu’on ne mourra pas tout à fait dans la mort « 

L’instant Eternel

De Sapho à Renée Vivien, je ne pouvais que revenir vers Colette et de Colette rayonner vers toutes ces femmes, ces portraits généreux ou griffés qu’elle nous a livrés: Hélène Picard, mais aussi le  » petit corsaire  » Renée Hamon, Marguerite, la grande Moreno, toutes nées dans le dernier tiers du 19 ème siècle, bousculées par la Grande Guerre et plongées dans la modernité du 20 ème siècle.

Comment ont-elles affronté le choc, comment ont-elles mené ce combat qui les menait vers l’autonomie, la liberté et la reconnaissance consciente de leurs désirs? Comment passer des corsets, des robes longues, des appartements sombres, aux rues encombrées et bruyantes, aux usines, aux voitures, aux cheveux courts? Mais aussi à des vies sans la protection d’un mari, des vies dont la liberté fut parfois durement payée au créancier solitude.

Si certaines ont posé le masque de l’outrance sur leur visage pour masquer leur peur, d’autres ont choisi la réclusion comme ultime rempart de leur liberté. Telle fut Hélène Picard: Hélène et Renée semblent les archétypes des victimes de la modernité. Alors que Colette en serait l’archétype vainqueur.

Hélène écrit au moment où le nombre de femmes de lettres connaît une hausse spectaculaire, que l’on ne soupçonnerait pas si l’on se fiait seulement aux journaux, et autres listings officiels: en 1908, plus de 700 auteurs sont des femmes. En 1928, la proportion reste la même sur les 3000 écrivains déclarés. Elles n’étaient qu’une vingtaine en 1860.

On devine dans ces chiffres à la fois la renommée grandissante de l’état d’écrivain ( de nombreux prix naissent dans ces années là ) et l’attrait que cette activité intellectuelle exerce sur les femmes, dont la plupart sont issues de la bourgeoisie ou de la noblesse, qui a toujours accordé ses faveurs à la littérature.

(source:http://www.persee.fr/doc/arss_0335-22_1990_num_83_1_2936 )

Il n’est pas étonnant non plus de voir, dans les mêmes années, naître les mouvements d’émancipation des femmes dans les pays occidentaux.

Mais attention, les hommes ont, longtemps, soit considéré avec dédain ce qu’écrivaient les femmes soit les ont cantonnées dans des genres dits « typiquement féminins »: la littérature pour enfants, sentimentale, psychologique, épistolaire. Bref tout ce qui ne demande pas la puissante logique masculine. Bien évidemment les femmes écrivains furent considérée comme mineures dans tous les sens du terme et je retrouve là Colette, qui se lança comme les hommes dans la carrière de journaliste, qui travailla au théâtre, au cinéma, bref aborda tous les genres encore réservés aux hommes.

Où est la place d’Hélène Picard dans cet univers littéraire ? Un peu particulière, car si elle connut assez vite la reconnaissance, dès 1908/1909, elle choisit la réclusion et la solitude dans les hauteurs de son petit appartement parisien. La pauvreté et le dénuement furent également ses compagnons.

Ses œuvres sont pratiquement introuvables en librairie, même spécialisée.

C’est à travers les lettres de Colette, des extraits de certains de ses livres, puis la lecture de l’Instant Eternel, que je vous propose, non pas un portrait, mais une ombre légère telle qu’Hélène s’est voulue.

Hélène Dumarc est née à Toulouse en 1873, elle est l’exacte contemporaine de Colette. Elle épouse le sous-préfet Picard en 1898, lui même lettré. La carrière d’Hélène, tout comme celle de Renée Vivien, débute avec une reconnaissance de son talent par les milieux littéraires: des publications, des prix importants ( ceux des Jeux Floraux par exemple ). Elle aurait pu poursuivre à la fois sa vie d’épouse de sous-préfet et de femme de lettre. Mais en 1920, après avoir quitté son mari elle devient la secrétaire de Colette à Paris, puis son amie.De sa passion sans retour pour Francis Carco naîtra son œuvre la plus connue peut-être  » Pour un mauvais garçon « . Puis la maladie, la réclusion dans son appartement parisien, la solitude et la pauvreté transforment Hélène en petit fantôme que Colette semble tenir à bout de bras, sollicitant les uns et les autres. Hélène meurt en 1945, les privations de la guerre ne sont sûrement pas à négliger dans son décès.

Ces quelques lignes ne disent pas grand chose d’Hélène Picard.Nous la retrouverons plus vivante, plus proche chez Colette.

Des lettres de Colette à Hélène ont été publiées dans un recueil ( » Lettres à Hélène Picard, à Marguerite More no, au petit corsaire » ; texte établi et annoté par Claude Pichois et Roberte Forbin; préface par Maurice Goudeket Flammarion, 1988 ).

Mais c’est sûrement dans L’Etoile Vesper que l’ombre se dévoile. Colette écrit après la mort de son amie et un chagrin sincère transparaît : » Je ne sais plus de quelle année date notre amitié. Je me souviens qu’Hélène Picard, séparée de son mari, –– ancien sous-préfet, un peu poète lui-même –– arrivait à Paris pour y savourer sa pauvreté et son indépendance. (Colette, L’étoile Vesper) ou bien dans un envoi pour  » La Chatte « :  » À mon admirable Hélène Un peu de bleu pour sa chambre à rêver Avec ma tendre et profonde amitié »

Autant Colette s’est plu à griffer Renée Vivien, autant elle a toujours évoqué Hélène tendrement et sans aucune méchanceté. Sa plume a toujours été tendre, amicale, réconfortante pour son amie.

Elles avaient d’autres points communs dans leur extrême différence: leur amour de la nature, leur sensibilité extrême aux beautés naturelles, le lien entre leur sensualité et la nature a sûrement rapproché les deux femmes.

Le parfum des treilles, le vibrant soleil, les lilas du mois de mai tout n’est qu’appel à respirer à ouvrir les yeux sur la nature. Une liste presque exhaustive de plantes, d’arbres, de fleurs, d’animaux et d’éléments naturels enveloppe le lecteur: myrte, abeilles, forêts, lune soleil. Bien souvent, Hélène franchit la grille d’un jardin. D’un endroit protecteur et maîtrise, elle s’évade dans la nature sauvage non maîtrisée hors les grilles.

Ainsi dans « Espérance »

Que le soleil est chaud dans le parfum des treilles

Et comme il est vibrant de souffle harmonieux!…

La forêt a chanté par toutes ses abeilles

Et je souris d’avoir une larme à mes yeux.

O vous qui frémissez d’être des jeunes filles,

Mes sœurs, vous qui courez sur le bord des étang

Du jardin entr’ouvrez si doucement les grilles

Pour regarder passer la forme du printemps

Voulez-vous dire avec moi le grand poème

Du rêve, du désir, de l’attente et du soir?…

Nul jeune homme, jamais, chez moi,ne vint s’asseoir

Et, pourtant,apprenez, mes chères sœur, que j’aime.

L’instant éternel, Paris, Sansot, 1907

Cet élan vers la nature paradoxalement se situe lorsque justement la modernité sépare les hommes de la nature: la vie urbaine, les progrès techniques mettent un écran entre la nature et les humains. Donc c’est une nature idéalisée, une nature directement issue des poèmes élégiaques antiques à laquelle Hélène fait référence.

Cet appel est lié à un autre celui de l’amour. Si Hélène est si sensible à la sensualité de la nature, c’est qu’elle espère, attend celui qui partagera avec elle les plaisirs de l’amour. Sensuelle, érotique même sans s’en rendre compte, Hélène Picard laisse une œuvre plus puissante et libérée qu’il n’y paraît. En tout cas elle ne cache pas la quête incessante et lancinante d’un amour charnel, l’expression des désirs, de l’élan vital ce que Freud appelle  » la libido », le désir viscéral de vivre, qui n’est pas seulement le désir sexuel.

Dans Trouble, Hélène révèle la tension nerveuse, l’exacerbation de l’attente à un point extrême:  » J’ai pleuré, j’ai crié, c’est trop de bonheur, trop…. « 

Il est évident que les textes ne s’adressent pas contrairement à ce qui sera « Pour un mauvais garçon » mais sont un hymne au désir intérieur, à l’élan vital. L’instant est proche mais il ne se résout pas dans le réel tout reste attente, espoir. Rien ne se réalise, rien ne devint contient.

Que dit Hélène de l’amour ? Rêvé, idéalisé, fantasmé, Hélène cherche un beau jeune homme, un étranger, un jeune homme pensif, ( Émoi, dans l‘Instant Éternel ). Elle est en quête du désir, elle respire l’amour. Hélène désespérée, éperdue d’attente trouve dans la nature le refuge mais aussi l’écho de ses désirs. Ce jeune homme n’existe pas et n’existera jamais. Et si par malheur, elle rencontre un avatar de ce jeune homme, c’est un bel indifférent, un peu voyou, c’est Francis Carco ni beau, ni jeune, ni pensif. Donc Hélène restera seule. De toute façon l’amour est toujours  » là-bas, là-bas…  » ( Cortège ).

Émoi:

Les airs sont enivrés d’un parfum d’oranger,

On a vu s’avancer, du chemin des cascades,

Un jeune homme, penser, beau comme un étranger

Qui saluerait, un soir, l’archipel des Cyclades.

( dernière strophe )

ou dans Cortège:

Pour enchaîner l’aimé nous tiendrons des guirlandes

Nos cheveux flotteront dans un vent de légende,

Nous nous désignerons l’amour:  » Là-bas… Là-bas… »

Et le sol du printemps gémira sous nos pas.

Eternelle jeune fille, éternelle innocente, éternelle sœur:  » mes sœurs  »  » mes sœurs chères  »  » vous « dans Espérance, dans Émoi, ou Cortège Hélène en appelle au groupe des sages-femmes.

Le partage de la condition féminine, le sentiment d’appartenance ont aussi très sûrement réuni Colette et Hélène: femmes, amoureuses, abandonnées, délaissées, solitaires, elles se sont reconnues. Souvenez-vous du phalanstère que gérait Colette pendant la Première Guerre. C’est sûrement dans ces moments que ces femmes ont appris à vivre seules mais aussi la solidarité féminine.

Dans Cortège:

Sœurs nous qui respirons…

Dans Émoi:

Prenons-nous par les mains mes sœurs chères…

Dans Espérance:

Mes sœurs vous qui courez sur les bords des étangs…

Mais Hélène ne trouvera pas d’issue: son besoin de pureté, son idéal sont si haut, si inatteignable que seules la réclusion, la solitude, l’ascèse lui permettront de résoudre ses conflits intérieurs.

Quitter le monde, quitter les autres, cultiver la solitude, la différence, ambitionner une telle pureté, une telle innocence, un tel niveau d’idéalisme ne se peuvent négocier avec la monde et la société.

Hélène s’isole, se refuse, s’appauvrit, maigrit, vit de peu comme une de ces ermites médiévales, et tombe malade. Jusqu’à en mourir.

Catherine Calvel

INSTANT ETERNEL:

https://archive.org/stream/linstantternel00pica#page/3/mode/1up

LES FEMMES ECRIVAINS ET LE CHAMP LITTERAIRE / Monique de Saint Martin

http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_83_1_2936

Vie et œuvre d’un poète, Hélène Picard ( 1873 1945 ) Nicole Laval Turpin

Trésor de la poésie universelle

Lors du dernier salon du livre ancien et d’occasion de Montolieu ( Village du livre, Aude), j’ai eu le plaisir de découvrir «  Trésor de la poésie universelle » ( Roger Caillois et Jean-Clarence Lambert, Gallimard, 1958). Les auteurs, sans être exhaustifs, ont voulu reconstituer une histoire de la poésie, en cueillant dans chaque peuple ces mots et ces rythmes qui ont un pouvoir, celui de rassembler les hommes. Quels que soient l’ époque et le lieu, ils ont tous, selon leur coutume, vécu un deuil, combattu l’ennemi, adoré un dieu, écouté des prophéties, tenté d’expliquer l’univers. En prose ou en vers, la poésie est universelle. Elle parle à chacun de nous. Elle parle de nous. Elle nous rappelle qu’au delà de nos préoccupations quotidiennes nous nous posons les mêmes questions, nous luttons contre les même démons, nous avons tous un espoir de Bonheur.
Ce vœu d’unité de la poésie et d’humanité, J-C Lambert, à la fin de sa préface, lui donne voix et forme par les mots d’Hegel : « … en dépit des différences dues aux caractères nationaux et aux phases de développement historique, la poésie de chaque peuple et de chaque époque contient un élément intelligible pour tous les autres peuples, un élément qui constitue une source de jouissance pour tout homme, à chaque époque qu’il appartienne; élément universel en tant qu’humain, d’une part, en tant que participant de l’art, de l’autre. ». Et de conclure : «Que le haut langage poétique se retrouve au fond de la forêt africaine tout autant qu’à la cour de l’empereur Hiuan-tsong des T’ang, n’est-il pas grand temps de l’admettre ? »
Je ne peux m’empêcher de vous faire partager deux poèmes trouvés au hasard de ma chasse au trésor.

Alexa.S

 

Trésor de la poésie universelle

Charme d’amour
L’ATHARVA-VEDA ( Inde, sanskrit, à partir de 2000)

Comme la liane tient l’arbre embrassé de part en part, ainsi m’embrasse, sois mon amante et ne t’écarte pas de moi !
Comme l’aigle qui prend son envol frappe au sol de ses ailes, ainsi je frappe à ton cœur : sois mon amante et ne t’écarte pas de moi !
Comme le soleil un même jour entoure le ciel et la terre, ainsi j’entoure ton cœur : sois mon amante et ne t’écarte pas de moi !

 

 

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Complainte d’une femme de guerrier
DOAN THI DIÊM ( Annam, XVIIIe siècle)

Sous le pont, l’eau coule limpide comme filtrée,
Près du pont, la route est recouverte d’herbe tendre,
Le cœur serré, je t’accompagne, ô mon Époux, mon amour…
Je suis malheureuse de n’être pas le cheval qui te porte, la barque qui t’emporte !
L’eau coule, mais l’eau ne lave pas ma tristesse ;
L’herbe est parfumée, mais le parfum de l’herbe ne guérit pas ma peine.
Tandis que le tambour résonne, le désespoir comme la mer monte en mon cœur.
Adieu, adieu, mon époux, mon amour ! Mes lèvres murmurent : « Adieu ! », mais ma main ne quitte pas ta main.
Je marche avec toi et mes pieds ne veulent pas se déplacer.
Pour te suivre, pour bercer ton sommeil, je voudrais être la brise du soir qui chante à travers les feuillages.

… Tu étais parti quand les boutons naissaient sur les branches des abricotiers,
Aujourd’hui, les pêchers sont en fleur,
La bise et la neige sont revenues,
Toi seul, ô mon amour, n’es pas de retour !
Tu étais parti quand les loriots ne chantaient pas sur les branches,
Maintenant le loriot et la perdrix, de concert, chantent sur les toits,
Et toi, mon amour, tu n’es pas de retour !
Au rendez-vous de Luong-Tay, je me suis rendue,
Vainement, vainement, je t’attends ! Aucune ombre de toi n’apparaît !
De leurs branches, les feuilles tombent, tombent sans arrêt !
La bise glaciale traverse ma robe glaciale,
Les lettres arrivent, mais toi, mon époux, mon amour, tu n’arrives pas !
Lasses de t’attendre, les fleurs s’évanouissent, et leurs pétales jonchent le sol et recouvrent la mousse,
Chaque pas dans la cour résonne comme un sanglot dans mon cœur meurtri !
Les lettres arrivent ; mais toi, mon Époux, mon Amour … tu n’arrives pas !
Maintes fois, le soleil passe et repasse à travers le store…
Qu’as-tu fait, ô mon amour, de tes promesses ?

Stefan Zweig: Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme

Zweig. S

 

Scandale dans une pension de famille « comme il faut », sur la Côte d’Azur du début du siècle : Mme Henriette, la femme d’un des clients, s’est enfuie avec un jeune homme qui pourtant n’avait passé là qu’une journée. Seul le narrateur tente de comprendre cette « créature sans moralité », avec l’aide inattendue d’une vieille dame anglaise très distinguée, qui lui expliquera quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez elle. Ce récit d’une passion foudroyante, bref et aigu comme les affectionnait l’auteur d’Amok et du Joueur d’échecs, est une de ses plus incontestables réussites.

 

Fort et poignant sont les premiers mots qui viennent à l’esprit le dernier mot lu. Ou plutôt quelques instants après. Une fois sortie de l’ hébétude, une fois revenue à ma vie.


De quelle manière Stefan Zweig a-t-il réussi à me happer de la sorte, à m’entraîner dans ce tourbillon de corps en mouvement, se croisant, se décroisant, dans ce déchaînement d’émotions ? Je ne sais pas. Et je n’ai pas envie d’analyser le style, le procédé d’écriture. Je veux rester avec Mrs C, avec le narrateur, avec les convives de la tables et avec Mme Henriette ou plutôt avec son mari puisqu’elle est partie. Je veux être en émotion

Car c’est cela, » Vingt-quatre heure dans la vie d’une femme », une mise à nue des émotions dans ce qu’elles peuvent avoir d’extrême : passion parfois addictive, désespoir, colère, adoration, trahison, désir de mort, renaissance, ivresse, égarement, regret. En un mot vertigineux.

La force de cette nouvelle est de faire ressurgir nos instincts primaires, de nous faire sentir humain dans ce qu’il a de plus profond, obscur diraient certains. Que doit on en faire ? Les vivre, les assumer, les fuir, les cacher. Et avec quelles conséquences ? Des regrets, une conscience entachée, le déni ?

Il n’y a pas de réponse bien sûr, seulement des êtres sensibles,vivant, mourant, se métamorphosant, expérimentant, trébuchant, courant, fuyant, se reprenant…

Seulement des émotions.

Alexa. S

En téléchargement sur le site de la Bibliothèque électronique du Québec