Le Doute

Le doute

Je grognai. Saleté de réveil !
– Arrête le réveil, c’est samedi.
– Prise de sang, répondis-je.
Je repoussai les draps et couvertures à regret et marchai d’un pas traînant vers la salle de bain. Je hais les prise de sang à jeun. Sortir sans même prendre un café! Si ça c’est pas de la torture. Mais ma médecin généraliste m’a prescrit un bilan sanguin complet à la suite d’un état de fatigue qui durait depuis plusieurs semaines, MST comprises. Non que cela soit utile puisque je n’avais qu’un seul partenaire depuis bientôt trois ans, Pierre, que le réveil n’avait pas visiblement perturbé puisqu’il s’était rendormi aussitôt.
Pour aider mon cerveau à sortir du brouillard je décidai de me rendre à pied au laboratoire d’analyses. Effectivement, le froid piquant de ce début d’Avril me gifla le visage et secoua mes neurones.
A sept heures les rues de mon quartier n’étaient pas très animées, voire pas du tout. La seule lumière provenait du café que je dépassai avant d’atteindre mon but.
La salle d’attente, à mon grand étonnement, était pleine. Je reconnus plusieurs habitants du quartier que je saluai en me dirigeant vers le comptoir d’accueil. Les formalités remplies, je m’assis à côté de ma voisine Sabine et de sa fille Laura, une gamine de 15 ans, un peu effacée, toujours très comme il faut. Enfin plus tout à fait comme il faut s’il faut en croire les rumeurs entendues dimanche matin au marché du quartier. Et à voir les cernes et le regard dur de Sabine, il se pourrait que les commères n’aient pas eu tort, cette fois-ci.
Une heure et demie plus tard je sortais et me précipitais au café pour prendre un petit dej’ que je savourais avec délice. C’est fou comme une habitude quotidienne peut devenir le plus grand plaisir de la journée, un vrai bonheur !

Comme tout le monde, je n’apprécie pas beaucoup le lundi et un coup de téléphone dès huit heures du matin n’y arrange rien.

– Ici le Docteur Florac. Le laboratoire vient de me faxer vos analyses, pourrions- nous nous voir dans la journée ?
– Il y a un problème ? demandais-je, affolée
– Je préférerais que nous en parlions de vive voix. Et le plus tôt sera le mieux, précisa-t-elle calmement
– Je peux venir tout de suite, dans une heure …
– Je ne peux vous recevoir qu’à quatorze heures.
– Oui, 14 heures, répétai-je un peu absente.

Je restai en silence plusieurs minutes après avoir raccroché.
– Tu vas bien Isa ? Tu es toute blanche me demanda Pierre
– Je ne sais pas. La médecin a reçu les analyses et veut me voir aujourd’hui.
Je me tournai vers lui.
– Elle n’a rien voulu me dire au téléphone, ajoutais-je avec anxiété
Il me prit dans ses bras.
– Je suis sûr que ce n’est rien, dit-il avec douceur.
Je me laissai aller dans le confort de son étreinte. Dieu que j’aimais cet homme ! Il n’était pas facile à vivre mais tellement bon et aimant.
Après quelques instants de silence chaleureux, il prit ses clés sur la console

– Il faut que j’y aille. Appelle-moi après ton rendez vous. D’accord ?
– Oui je t’appelle.

Il m’embrassa rapidement sur la joue et partit.

Bien que présente à la réunion, je ne la suivis pas, perdue dans mes réflexions. Je ne comprenais pas l’urgence de la situation et ne voyais pas d’où pouvait venir le problème. J’essayais en vain de me rassurer. Ce ne peut pas être grave. Si j’étais vraiment malade je le sentirais, il y aurait des signes. Je suis certes fatiguée ces temps-ci mais, je cours quand même deux à trois fois par semaine quand Pierre est en debriefing. Alors pourquoi veut-elle me voir au plus vite ? Plus je m’interdisais de penser à tous les cas possibles plus j’y pensais. J’arrivai une demi-heure heure en avance au rendez vous. Tendue. En colère aussi. Si c’est grave pourquoi me faire endurer cette attente ? Pourquoi ne pas me l’avoir dit ce matin ? Et si ce n’est pas grave pourquoi cette urgence ? Le docteur Florac me trouva ainsi, à faire les cent pas sur le trottoir. Avec un sourire las elle me fit signe d’entrer.

– Il s’agit du test HIV. Il est positif.

On ne pouvait pas dire qu’elle tournait autour du pot. Je la regardai en silence. Je comprenais ce qu’elle m’avait dit mais j’avais comme l’impression que ce n’est pas à moi qu’elle parlait, que j’étais spectatrice d’une scène qui ne me concernait pas.

– Mlle Lavois. Avez vous compris ce que cela signifie ?
Sa voix me sortit de mon hébétude.
– Oui, je comprends tout à fait, lui répondis-je un peu trop fort. Il doit y avoir une erreur. Je ne vois pas comment j’aurai pu être infectée. Je n’ai qu’un partenaire, Pierre.
– Votre réaction est normale mais il n’y a pas d’erreur, malheureusement.
Elle baissa les yeux sur les papiers posés devant elle comme si elle avait besoin de quelques instants pour se reprendre. Puis me regarda droit dans les yeux.
– Mlle Lavois, il est possible que vous ne soyez pas la seule infectée, que votre compagnon le soit aussi. Peut-être a-t- il été le premier, de ce que vous me dites.
– Seriez-vous en train de dire que j’ai le sida parce que Pierre m’a trompé !
– Je ne sais pas comment vous avez été infectée. Mais une chose est sure, vous l’êtes. Et c’est de cela dont vous devriez vous préoccuper. Avec votre accord, je vais prendre rendez vous dans le service spécialisé de l’hôpital afin qu’il puisse vous suivre et vous aider physiquement et psychologiquement
– Non, pas de rendez vous, dis-je sèchement Je ne suis pas malade. Vous devez l’entendre à chaque fois mais je vous assure que je n’ai pas pu être infectée.
– Je comprends votre réaction. Néanmoins …
– Je veux refaire une prise de sang, la coupai-je. J’irai dans un autre laboratoire d’analyse. Il y a une erreur. C’est forcément une erreur!
Contrairement à ce que mes mots affirmaient, ma voix trahissait interrogation et supplication. Son regard si neutre d’habitude me renvoyait tristesse et compassion. Je ne le supportai pas. Je pris mon sac, ma veste et me levais.

– Je vous prescris une autre analyse si vous le voulez, Mlle Lavois. Et je vous donne aussi les coordonnées du service hospitalier. Aborder la question du HIV avec son compagnon n’est pas facile mais je vous conseille d’avoir cette conversation avec lui. Au moins pour qu’il passe le test.

Je patientai, debout, les bras encerclant ma poitrine. Fort. Pour ne pas tomber, pour ne pas pleurer. Dès qu’elle me tendit l’ordonnance, je la lui arrachai et sortis en courant. Fuir ce lieu. Fuir la sentence. Fuir la souffrance.

Je n’appelai pas Pierre comme promis. Je ne retournai pas au travail non plus. Je déambulai dans la ville sans rien voir. Le cerveau vide, comme disjoncté.

A vingt heures, Pierre rentra. Je l’attendais de pied ferme. Le salaud ! Il m’avait trompé.

– Chérie, tu es là ! dit-il avec soulagement. Je m’inquiétais. Tu n’as pas appelé et ton portable était sur messagerie eu-t-il eu le culot de me dire en voulant me prendre dans ses bras. Je l’esquivais.
– Je sais, répondis-je platement. Puis j’enchaînai :
– Comment elle s’appelle ?
– Qui ?demanda-t-il surpris
– De la pouffiasse avec qui tu couches, criai-je hors de moi
– Mais qu’est-ce qui te prend Isa !
– Il me prend que j’ai une putain de MST et que je ne suis pas allée voir ailleurs, moi. Mais j’aurai dû le savoir. Après tout, quand je t’ai rencontré tu étais en couple.
– Oui, j’étais en couple mais j’ai pris la décision de la quitter pour être avec toi. Et depuis il n’y a que toi. Je t’aime plus que tout. Et tu le sais, me rétorqua-t-il agacé.
– Tu veux que je t’explique comment on attrape une MST? dis-je avec sarcasme. Alors, arrête les violons , les « je t’aime plus que tout » et réponds à ma question : avec qui as tu couché ? articulai-je. Car au cas où cela t’aurait échappé il ne s’agit pas que d’une vulgaire affaire d’infidélités. Il s’agit de ma vie. De notre vie conclus-je, lasse.
– Tu exagères. Les MST se soignent de nos jours, pour la plupart, finit-il par dire. Comme un aveu.
Il ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre.
– Pas de bol mon vieux c’est celle qui ne se soigne pas. Sans attendre sa réponse je me dirigeai vers la sortie
Je vais à l’hôtel.
Il ne me répondit pas. Ne m’arrêta pas. Je retins mes larmes. Je ne pleurerai pas devant ce salopard.

Dès le lendemain matin je fis la prise de sang et passai les deux jours suivants à m’abrutir de travail pour éviter de penser aux résultats, aux appels de Pierre, à mon futur. Au matin du troisième jour j’étais dans un état lamentable, le teint blême, les yeux ternes. La délivrance vint d’un coup de téléphone, à huit heures.

– Vos résultats sont négatifs cette fois-ci.
Je m’assis, vidée par ces heures de doute, d’attente et de colère.
– J’ai déjà appelé le premier laboratoire où vous vous étiez rendue. Après vérification, il semble qu’il y ait eu une confusion dans les tubes de prélèvement sanguin.
– Je ne suis pas malade dis-je plus pour moi-même.
– Effectivement. C’est une excellente nouvelle, pour vous. J’entendais le soulagement dans sa voix.
– Oui, en effet, dis-je dans un souffle. Je ne savais pas si je devais hurler de joie ou crier au scandale. Mais une autre idée me traversa l’esprit.
– Ça veut dire aussi que quelqu’un quelque part va recevoir une très mauvaise nouvelle
– Oui

J’appelai Pierre dès la fin de la conversation et laissai un message pour lui donner rendez vous le soir même. Il confirma par un texto. J’appréhendais cette discussion. J’avais douté de lui, et je culpabilisais. J’espérais qu’il comprendrait que j’avais eu peur, que j’avais eu mal.
A mon arrivée, j’eus un autre choc. Pierre était quelqu’un de méticuleux et d’ordonné qui n’aurait jamais laissé un tel désordre dans la maison.. Ses vêtements étaient froissés, ses cheveux en bataille et son regard, tellement angoissé. Je m’en voulais énormément. Je sortis de mon sac les analyses que j’avais récupérées en venant. Je voulais le soulager, lui dire qu’il n’y avait rien de grave. Que c’était une erreur.
Je m’avançai vers lui, tendant les papiers comme s’ils étaient sacrés. Et ils l’étaient pour moi.

– Pierre, commençai-je .
– Je suis désolé, me coupa-t-il.
– Non, Pierre, c’est moi qui suis..
– Tu avais raison continua-t-il en fixant le mur . C’était il y a plusieurs mois. Lors d’une soirée organisée au travail. Tu n’avais pas pu venir car c’était ta soirée entre filles. J’ai trop bu. Je ne sais même pas pourquoi. Ce n’est pas dans mes habitudes. Une de mes collègues ..

Je me figeai, voyant venir la catastrophe. A nouveau je me trouvais spectatrice de la scène. Lui continuait sur sa lancée. Je n’écoutai plus. Je laissai tomber les papiers si précieux à mes yeux quelques minutes plus tôt mais qui n’étaient maintenant que des déchets. Ceux de ma liaison avec Pierre.

Au moment où je passai la porte, j’entendis un cri d’agonie, puis des sanglots. Je tournai la tête et vis la petite Laura effondrée dans les bras de sa mère.

Alexa.S

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